Quelle recherche dans les HES?
Autorinnen/Autoren: Karl Weber und René Levy
Von Kontrapunkt* vom 2. Oktober 2012
La nouvelle loi sur l’encouragement des hautes écoles et la coordination dans le domaine suisse des hautes écoles (LEHE) met les Hautes écoles spécialisées (HES) et les universités à pied d’égalité. La Confédération promet d’encourager recherche et enseignement dans ces deux types de haute école selon les mêmes critères. Pour la recherche, un des critères de prestation est le succès dans l’acquisition de finances auprès du Fonds national de la recherche. Toutefois, la loi autorise la Confédération de recourir à d’autres critères si les particularités d’une haute école ou d’une discipline l’exigent. Les HES sont-elles prêtes, d’un point de vue organisationnel et personnel, à affronter la compétition renforcée pour les ressources limitées dans les conditions-cadre nouvelles?
L’expérience des 15 années passées depuis leur mise en place montre que les HES ne sont que partiellement en mesure de réaliser le mandat de prestation que leur a conféré le législateur. Malgré la diversité des situations entre les domaines, on peut affirmer que les conditions pour la recherche dans les HES sont insatisfaisantes. D’abord, il faut rappeler que l’organisation des HES est fortement orientée vers l’enseignement, les filières d’étude sont leur principe organisateur crucial. La charge d’enseignement est importante: le personnel scientifique des HES y investit env. 70% de son temps de travail. De surcroît, la majeure partie de ses membres est engagée à temps partiel, souvent à des taux minimes, et les HES disposent de peu de moyens (postes) dédiés à la recherche. Il leur manque aussi du personnel compétent ayant acquis de l’expérience dans la recherche. A ce jour, on n’a pas développé de corps intermédiaire avec une formation académique. En outre, le mandat légal – qui exige de développer de la recherche appliquée à base scientifique – force les chercheures et les chercheurs des HES à respecter, dans leurs recherches, les exigences de deux champs aux logiques très différentes et souvent contradictoires: le champ scientifique et celui des mandataires insérés dans la pratique. La complexité des exigences pour les projets de recherche augmente ainsi de manière significative: les résultats ne doivent pas seulement être „vrais“, mais encore „utiles“ et utilisables. En plus de cela, le profil des ressources fournis par des tiers, imposé aux HES, leur rend extrêmement difficile de réaliser leur propre programme de recherche et d’accumuler systématiquement connaissances et expériences. Finalement, les projets soumis au Fonds national par des membres de HES sont souvent désavantagés car ils y sont jugés selon les même critères que les projets universitaires (p. ex. selon le rang international des revues où publient les auteurs). Dans l’ensemble et surtout comparé aux universités, il manque aux HES des conditions fondamentales pour accomplir leur contrat de prestation défini par le législateur.
Ségrégation de la recherche suite aux différences structurelles entre HES et universités?
La nouvelle LEHE qui entrera bientôt en vigueur ne tient pas compte des différences structurelles fondamentales entre les deux types de hautes écoles. S’en suivra-t-il entre eux une compétition pour les ressources limitées qui sera bénéfique à la qualité ou au contraire ruineuse?
Ce potage pourrait être mangé moins chaud qu’il n’est servi, la politique des hautes écoles fesant en sorte que la compétition ne deviendra pas ruineuse. On admettra peut-être une certaine dose de compétition, mais pas trop. On peut s’attendre à ce que les instruments de soutien financier soient davantage différenciés en faisant dépendre leur accessibilité de certains critères – on peut limiter la concurrence et „protéger“ les deux types de haute école en leur réservant deux mangeoires différentes. Toutefois, pareille évolution, peu nouvelle en Suisse, serait défavorable à la science en général. D’un côté, elle comporterait un risque d’érosion des critères de qualité de la recherche. De l’autre, il faudrait compter avec un renforcement de la segmentation entre domaines de recherche. Les deux développements rendraient plus difficile la compétition scientifique et affaibliraient la compétitivité internationale. Ce type de risque frapperait davantage les domaines à envergure modeste des sciences humaines et sociales que ceux qui disposent d’une grande masse critique et qui peuvent s’orienter sur des paradigmes scientifiques consensuels.
Solution alternative: des instituts intermédiaires
Afin de renforcer la compétition scientifique, de limiter la segmentation et le cloisonnement des champs de recherche et de développer davantage la qualité de la recherche orientée, les domaines scientifiques des hautes écoles universitaires et spécialisées devraient réaliser en commun de la recherche appliquée dans le cadre de nouveaux instituts intermédiaires. Dans ces instituts, des scientifiques des deux types de haute école collaboreraient dans une perspective temporelle prolongée. Ils et elles y continueraient leur qualification (doctorat, habilitation). Cela permettrait aux HES – qui n’ont pas le droit de promotion doctorale, à la différence des universités – d’assurer leur relève scientifique. Les différences de culture entre les universités et les HES pourraient y développer leur potentiel créatif, la communication et l’échange entre elles seraient favorisés. Surtout, il serait ainsi plus facile à la fois de tester l’utilisabilité pratique de connaissances scientifiques fondamentales et d’assurer les bases scientifiques de la recherche appliquée.
Postscriptum: Les conditions de la recherche ne sont pas le seul problème actuel des HES. Mentionnons encore la privatisation rampante de la recherche, la séparation structurelle entre enseignement et recherche, le manque d’une politique de développement du corps intermédiaire. La solution de ces problèmes auprès des HES sera également un défi pour les universités qui leur imposera certaines adaptations.
* Diesen Text haben folgende Mitglieder von kontrapunkt mitunterzeichnet: Ont contresigné ce texte les membres suivants de contrepoint: Prof. Dr. Beat Burgenmeier, économiste, Université de Genève; Dr. iur. Gret Haller, Berne; Prof. emer. Philippe Mastronardi, spécialiste en droit public, Université de St. Gall; Dr. oec. HSG Gudrun Sander, économiste, Université de St. Gall; Prof. Dr. Beat Sitter-Liver, philosophie pratique, jusqu’à 2006 Université de Fribourg (Suisse); Prof. emer. Peter Ulrich, spécialiste en éco-éthique, Université de St. Gall; Prof. emer. Mario von Cranach, psychologue, Université de Berne; Prof. Theo Wehner, psychologue, ETH Zurich, centre pour les sciences de l'organisation et du travail, ETH Zurich; Daniel Wiener, MAS Arts Management, Bâle.