Où va la politique climatique suisse?

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Von Kontrapunkt* vom 23. November 2007

En marge des élections fédérales, les deux conseillers fédéraux Moritz Leuenberger et Doris Leuthard ont exprimé publiquement leurs idées, parfois divergentes, concernant la politique climatique suisse. Dans ce domaine également, le Conseil fédéral peine à dégager une unanimité. Cependant, tous deux sont d’accord de miser à l’avenir sur des instruments économiques. L’un veut recourir à la fiscalité, et l’autre au commerce international de certificats d’émission de CO2.

Au lieu de réagir aux changements climatiques par une batterie de nouvelles normes et prescriptions, tous deux empruntent une stratégie tournée vers l’avenir, qui offre à l’individu un espace de liberté de décision. Chacun pourra choisir ses propres moyens pour mettre en œuvre son respect de l’environnement. Mais ce qui est important, c’est que les incitations à le faire existent. L’impôt sur le CO2 et le commerce international de certificats sur les émissions vont tous deux dans cette direction.

Toutefois, un instrument seul ne permet pas de résoudre la problématique complexe de l’environnement. Il s’agit de définir un ensemble optimal d’outils divers, qui peuvent être appliqués concrètement. Le poids donné aux différents instruments est l’affaire du politique, qui doit sans cesse trouver un équilibre entre les intérêts individuels et les intérêts collectifs. Chaque instrument a ses avantages et ses inconvénients, et il est difficile de créer une politique du climat qui respecte les intérêts de chacun à égalité.

Derrière cet équilibre politique des instruments, on trouve deux approches différentes de la politique de l’environnement, qui gagneraient à être exprimées de manière transparente dans le discours politique. La solution fiscale veut imposer des devoirs, et le commerce de certificats veut créer de nouveaux usages.

L’une des deux approches considère l’environnement comme un bien public, à la disposition de tous. L’autre interprète l’environnement comme un bien usuel, dont les droits de propriété ne sont pas clairement établis. La première approche essaie de pallier une défaillance évidente du marché à l’aide d’un impôt, selon le principe du pollueur-payeur. La deuxième tente de définir le droit de propriété, afin de créer de nouveaux marchés. L’intention est la même dans les deux cas, à savoir mettre le fonctionnement des marchés au service de la protection de l’environnement, mais les fondements moraux n’en sont pas les mêmes.

La solution fiscale part du principe que nous avons des devoirs envers l’environnement et la postérité, et elle veut faire respecter ceux-ci en limitant les comportements économiques nuisibles à l’environnement. Le commerce de certificats veut étendre la notion d’utilité économique aux questions de l’environnement et de la postérité. Les conséquences n’en sont pas identiques.

En ce qui concerne les impôts, on peut mieux évaluer l’effet de prix, en ce qui concerne les certificats ce serait plutôt l’effet de quantité. Dans le deuxième cas, la fixation des prix reste incertaine. Et le prix des certificats échangés actuellement est sans aucun doute trop bas pour constituer une véritable incitation à réduire les émissions de CO2. Dans les deux cas, on sait seulement comment mesurer les critères d’efficacité économique, mais on ne sait pas comment  ils peuvent être comparés à des critères écologiques.

Détail piquant, le commerce des certificats d’émission de CO2 a été intégré dans le protocole de Tokyo sous la pression des Etats-Unis. En contrepartie, les Américains ont promis de ratifier le protocole, ce qu’ils n’ont pas fait finalement. A l’époque, il s’agissait moins de protection de l’environnement que de clarification des rapports de force.

Si l’Union européenne utilise aussi cet instrument, le soupçon peut naître que ces certificats servent plus à renforcer l’idée d’un marché commun qu’à protéger l’environnement. De tels soupçons peuvent également surgir concernant le spectre des intérêts suisses. Derrière le prétexte d’une répartition patriotique, il peut s’agir en première ligne de neutraliser l’Etat par le biais d’une baisse des impôts. Un impôt sur le CO2 joue le rôle d’une sorte de cheval de Troie, qui dissimule cette idéologie du « moins d’impôts ». La révolution néo-conservatrice a, dans ce domaine aussi, atteint la Suisse avec le retard habituel.

Les deux approches prêtent le flanc à la critique. Pourquoi l’environnement devrait-il être considéré comme « un bien », dont la valeur est déterminée par les marchés ? Le fait que ce « bien » soit protégé par la suppression des défaillances des marchés existant dans le pays ou par la création de nouveaux marchés à l’étranger ne joue guère de rôle. L’environnement n’est pas un bien économique, mais d’abord un processus que nous devons mieux comprendre. Ce n’est que lorsque nous saurons comment fonctionnent les systèmes sociaux et écologiques que nous connaîtrons leur capacité de charge qu’exerce l’économie sur eux.

Aujourd’hui, toutefois, la politique n’est pas vraiment prête à aborder ces questions plus en profondeur. Au lieu de projeter une logique de marché sur l’environnement, il serait plus judicieux d’essayer de mieux comprendre le lien entre les systèmes naturels et les systèmes économiques et sociaux. Ce n’est pas le marché qui devra servir d’étalon de référence à l’avenir, mais la capacité de charge de l’environnement. Par conséquent, le principe de précaution devrait guider nos actions plus systématiquement dès maintenant. Ce principe exige une politique environnementale active malgré des incertitudes scientifiques.. Etant donné que nous aurons finalement à faire à des risques sociaux de plus en plus élevés, l’assureur en dernière instance  sera le citoyen, et non le marché.

* Diesen Text haben folgende Mitglieder von kontrapunkt mitunterzeichnet:
contrepoint, Conseil de politique économique et sociale, a été constitué à l’initiative du « Réseau pour la responsabilité sociale dans l’économie ». Le Conseil comprend actuellement 30 membres et s’est donné pour tâche d’approfondir le débat public, trop souvent polarisé et superficiel, par des contributions qui prennent en compte les connaissances scientifiques actuelles et mettent en évidence des aspects négligés des problèmes débattus. Ont contresigné ce texte les membres suivants de contrepoint : Prof. Gabrielle Antille Gaillard, économètre, Université de Genève; Prof. Dr. Jean-Daniel Delley, politolgue, Université de Genève; Dr. Peter Hablützel, Hablützel Consulting, Berne; Dr. iur. Gret Haller, Université de Frankfort-sur-le-Main; Prof. Hanspeter Kriesi, politologue, Université de Zurich; Prof. Philippe Mastronardi, spécialiste en droit public, Université de St. Gall; Prof. Hans-Balz Peter, spécialiste en socio-éthique et socio-économie, Université de Berne; Prof. emer. Dr. Peter Tschopp, économiste, Université de Genève; Prof. Peter Ulrich, spécialiste en éco-éthique, Université de St. Gall; Prof. emer. Mario von Cranach, psychologue, Université de Berne; Prof. Karl Weber, sociologue, Université de Berne; Prof. Theo Wehner, psychologue, centre pour les sciences de l'organisation et du travail, ETH Zurich; Daniel Wiener, MAS Arts Management, Bâle; Prof. emer. Hans Würgler, économiste, ETH Zurich

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